La profession, aux traditions un peu rudes et viriles, l’a reconnue. Stéphanie Hein a conquis le respect des bouchers, gr-ce à une rare détermination, qui l’a conduite jusqu’au titre de championne d’Europe. Rencontre avec une exception.
Elle coupe, elle tranche, elle désosse, elle pare, elle chasse même… Mais, juré, elle n’est pas une viandarde. « Je mange souvent de la viande c’est vrai, mais je suis omnivore », assure-t-elle. Pour preuve, son jardin de 700 m2, ses conserves de légumes, le poisson qu’elle mange au restaurant avec ses collègues bouchers… N’empêche. « Une bonne hampe bien maturée, je ne résiste pas, ni à des rognons panés… » Ben tiens.
Une enfance à la ferme
Si l’on se résume, les bouchers mangent du poisson et il existe des femmes bouchers. Il y a des jours, comme ça, où les poncifs s’évaporent. Mais faut-il s’étonner éternellement que des femmes assurent des t-ches dites masculines, ou serait-il temps de tenir ça pour acquis, une fois pour toutes ? Cela ne va pas encore de soi partout… Il a fallu à Stéphanie Hein de la pugnacité pour parvenir à s’imposer dans ce métier. Mais, de la détermination, elle en a à revendre. Née dans une famille de quatre enfants, elle est l’aînée de ses trois frères. Son père, ingénieur en électricité, appelé régulièrement en Afrique, est souvent absent, mais elle assure n’en avoir pas souffert. Sa mère est marocaine, originaire d’El Jadida et les vacances de la fratrie ont pour cadre la maison des grands-parents agriculteurs, où se noue la relation privilégiée de la future bouchère aux produits de la ferme. « Nous mangions des concombres et des melons directement dans le champs, et je participais à l’abattage des poulets… » se souvient Stéphanie. Quelques années plus tard, il lui faudra se former à un métier. « Mes parents penchaient pour un boulot plutôt protégé, pas trop pénible. » Alors elle opte pour une formation en compta. Seulement voilà, « la compta, ça bouge pas et je ne tiens pas en place ! ».
Parcours de la combattante
La voilà alors en quête d’un stage dans une boucherie, pour son apprentissage. La première expérience est décevante ; son patron lui fait faire le ménage et elle s’accroche avec lui. Quoiqu’un peu refroidie, elle se remotive, soutenue par sa mère, et reprend son b-ton d’apprentie. « J’ai contacté 250 artisans bouchers dans la région », raconte-t-elle, mais aucun ne semble convaincu. « Quand on est une femme, un peu basanée, en plus, c’est plus compliqué… » constate-t-elle. Quelques réflexions racistes et misogynes auraient pu ajouter à la raideur de la pente, mais la bouchère en devenir passe un CAP dont elle sort major. Elle trouve ensuite un stage à Amboise, qui se transformera en embauche, et concourt pour le titre de Meilleur Apprenti de France. Elle remporte la finale régionale, sélectionnée pour le national. Hélas, « je me suis coupé un tendon quelques semaine avant… » rage-t-elle encore. Mais ses performances sont remarquées, relayées par « Radio boucherie », et le Campus des métiers de Joué-lès-Tours lui propose un poste de formatrice. « Mais je ne voulais pas quitter le monde professionnel », confie-t-elle.
Championne d’Europe !
Alors c’est à Bléré, chez James Doiseau, qu’elle officie ensuite, lequel, convaincu et épaté par les compétences et la personnalité de la jeune femme – « une pépite ! » –, jouera un peu les coachs pour l’entraînement aux concours… À nouveau, les ondes bouchères font remonter ses mérites aux oreilles de la Fédération nationale et la battante est finalement sélectionnée en équipe de France, qui se présente, en novembre dernier, aux championnats d’Europe à Clermont-Ferrand, et que l’équipe remporte. L’épreuve de 9 heures est une chorégraphie, un rigoureux ballet, réglé à la minute, où chacun est à sa place. Pas le temps, paradoxalement, de tailler une bavette. Pour Stéphanie, ce fut l’épluchage et le parage. Une performance saluée par la presse locale et nationale, qui devrait encore s’intéresser bientôt au cas Stéphanie Hein. Début septembre en effet, l’équipe de France de boucherie s’envolera pour Sacramento, en Californie, pour les championnats du monde. « Nous allons commencer à nous entraîner dès juin, confie Stéphanie. Il y a des concurrents sérieux, comme l’Angleterre et l’Italie. Mais dans la boucherie et la cuisine française, toute la viande est détaillée. Cette culture est déjà un entraînement. Je suis confiante. »
La cuisine, parlons-en. N’a-t-elle jamais été tentée ? « Je cuisine forcément, parce que ma maison est devenu le QG pour les réunions familiales. Et je n’exclus pas de faire une formation, tôt ou tard. » À en croire les recettes qu’elle conseille à ses clients, la formation est déjà bien entamée : sauté de veau sauce soja, agneau poêlé au beurre d’anchois… On restera donc à l’écoute de radio boucherie, au cas où la Touraine se doterait d’une nouvelle cheffe.