Fabuliste, moraliste, poète ou conteur ?
Il fut avant tout inventeur et ingénieur.
Tout au long de sa vie de chimiste,
Il ne cessa des mots de chercher la formule magique comme un alchimiste.
Et ce n’est qu’à son 100e anniversaire presque survenu qu’il décida le moment
enfin venu de publier le fruit d’une vie de rimes, de vers et d’hémistiches, très riche.
On pourrait résumer ainsi la longue et – on imagine – belle vie de Frank Dardalhon. Il est marié avec Denise depuis 1958 avec qui ils ont trois enfants et huit petits-enfants. Il naquit dans l’Héraut en 1923 et fit ses études de pharmacien à Montpellier. On le retrouve en héraut des mots un siècle plus tard sur sa terrasse des rives du Cher à Tours. On a décidé de vous le présenter ici, non seulement parce qu’il fêtera son 100e anniversaire le 17 août prochain – ce qui en soit mériterait déjà un bel hommage –, mais d’abord parce le petit bonhomme à la démarche toujours aussi agile et à l’œil rieur, vient de publier, à 99 ans, son premier livre sous le titre Écumes, un recueil composé de ses poèmes, de courts textes en prose ou en vers, de pensées et aphorismes. Cette « écume » que l’on retrouve ainsi décrite dans le dernier poème du livre,Vaguelette : « Moi je suis la vaguelette […] Je vais mourir bientôt au hasard des tempêtes. Ou bien m’effacerai au buvard d’une grève. Je ne suis qu’un soufflé à l’écume de rêve, rêve de gueux, rêve de roi, et il ne restera de moi qu’un peu d’écume sur le sable […] ».
Ce poème ne vient pas là par hasard en fin d’ouvrage, abordant la question de la mort et de la trace qu’on laisse, clouant, en quelque sorte, le couvercle sur le cercueil du recueil. Mais ce qu’on sait, c’est qu’en plus d’ « un peu d’écume sur le sable », il restera de la vie de Franck Dardlhon, a minima, les pages imprimées de ses écrits plus que recommandables, tout à fait recommandés ! La mort et la vieillesse font évidemment partie des thèmes récurrents dans ces pages pour l’auteur qui, bien que presque centenaire, est d’une vitalité surprenante puisqu’il continue de se connecter à son ordinateur et d’y faire naître quelques lignes chaque jour. « Cela devient de plus en plus difficile, ma vue et surtout mon ouïe me jouent des tours, je lis de moins en moins et j’ai plus de mal à tenir des conversations, ce qui fait que je rentre dans une forme d’isolement par rapport au monde qui m’entoure, c’est ce que je ressens avec le grand âge, on se coupe du monde peu à peu… Mais, quand j’ai pris ma retraite à 60 ans, je me disais, si je vais jusqu’à 80 ans, ce sera déjà beau, alors vivre centenaire, vous imaginez, j’en ai vraiment bien profité, je suis toujours alerte, je ne souffre de rien malgré ces méfaits du temps… » Et comme il l’écrit aussi dans Écumes, à la question qui s’impose, « Qu’est-ce qu’il y a de plus important dans la vie ? », il répond dans un court poème « Si vous voulez mon avis, la réponse qui s’impose, c’est la vie ! ».
Arrivé par le laboratoire
Bellon à Monts
Frank Dardalhon est un fabuliste et moraliste à la belle sensibilité qui porte un regard tendre et enjoué sur la vie et qui délivre, à travers ses écrits, des morales à la fois profondes et espiègles. Ces textes, d’une remarquable qualité, vraiment, rappellent évidemment les fables de La Fontaine car il y met également en scène nombre d’animaux. On pense aussi à Georges Brassens. Il avance les Alphonse, Daudet et Allais qui l’ont beaucoup inspiré. « J’ai commencé à écrire vers 20 ans, je n’ai jamais arrêté et je continue, je viens de finir un poème… Mais de là à publier, je n’y avais jamais vraiment pensé… » Et c’est au sein de l’association Art et Poésie en Touraine que Guy Péricart, amoureux de poésie comme lui, l’a convaincu que ses écrits étaient tout à fait publiables. Frank Dardalhon l’a donc fait à compte d’auteur aux éditions Vérone, en rassemblant des textes semés tout au long de sa belle et longue vie. Comme quoi, le talent peut attendre le nombre des ans…
On a failli oublier de vous narrer comment le pharmacien de profession et de l’Hérault en est venu à se poser aux Rives du Cher. « Quand j’ai repris mes études à la faculté de Montpellier après la guerre, j’ai rencontré un certain Roger Bellon, propriétaire d’un laboratoire pharmaceutique et grand résistant à qui de Gaulle allait demander de fabriquer de la pénicilline à la Libération. Le site choisi fut l’ancienne poudrière du Ripault à Monts, c’est comme cela que je suis arrivé en Touraine en 1950, je faisais partie des cadres chargés de lancer cette production… » Et il n’en est jamais reparti. Après Saint-Avertin jusqu’en 1958, Frank Dardalhon a vécu dans les nouvelles constructions du quartier Beaujardin puis de la place Anatole-France avant d’emménager aux Rives du Cher, le plus grand chantier d’Europe à l’époque, en mai 68 ! Une vie de poésie mais aussi une mémoire encore vivace qui pourrait raconter la mutation de la ville de Tours depuis l’après-guerre !
